La justice doit se réformer!
L'enquête sur le désastre d'Outreau le confirme jour après jour : la justice doit se réformer. L'analyse du juriste nantais Jean Danet.
Après l'affaire d'Outreau, la justice pénale ne peut que se réformer ?
Ce qui est sûr, c'est que la commission parlementaire ouvre une forme de débat public sur la justice pénale tout à fait inédite. Elle comporte une part de risques. Celle de discréditer l'institution. En fait, cette enquête engage le crédit de la justice, mais tout autant celui de l'État. Oui, le législateur doit s'engager dans une réforme d'ampleur, dégagée de l'émotion et de la démagogie.
Les magistrats reprochent aux députés trop de lois. À juste titre ?
Le malaise est profond. Inflation des infractions, inflation des peines encourues, instabilité procédurale chronique... Les injonctions du législateur sont multiples, parfois contradictoires, et ses attentes, comme celles de l'opinion et des victimes, ne cessent d'augmenter. On veut que la justice pénale assure notre sécurité, mais on lui demande aussi de réagir à la surpopulation dans les prisons. Les lois ne sont que la traduction en textes de ces attentes multiples et mal cernées. Sur la question de la détention provisoire, il y a eu vingt textes en trente ans !
Pourquoi un tel échec des réformes successives ?
On a voulu réformer cette justice pénale sans toucher à l'institution. On s'en est tenu à des réformes de procédures. Réformer le Code pénal et le Code de procédure pénale, cela ne suffit pas, quand, par ailleurs, on demande d'assurer, par la répression, le droit à la sécurité de chacun. Cela implique toutes sortes de mutations qui n'ont pas été assez pensées. Ni par le législateur - souvent trop pressé - ni par l'institution qui n'a pas de culture de l'évaluation et qui peine à prendre le recul nécessaire pour les réclamer.
Sommes-nous réellement à un tournant ?
Le tournant est triple. Cette justice pénale, si elle n'est pas réformée, peut devenir illisible et imprévisible, tétanisée par les médias, les mouvements d'opinion, le risque d'erreurs judiciaires. Elle peut devenir l'instrument d'une politique de plus en plus sécuritaire, si elle suit la pente qu'on lui propose depuis quelques années. L'affaire d'Outreau a montré dans le domaine qui faisait le plus consensus - la pédophilie - à quels drames la politique pénale, lorsqu'elle est gouvernée par l'émotion, peut mener. Cette justice doit trouver les moyens d'être un pouvoir crédible - aux côtés de l'exécutif et du législatif - pour assumer les tâches qui l'attendent.
Quelles sont les réformes indispensables ?
Il faut à la fois réformer des procédures et l'institution : le statut du parquet, son rapport à la police, le recrutement des magistrats, leur formation initiale. Il faut également affronter les blocages culturels, nés de l'histoire. Au sein de l'institution judiciaire, par exemple, le public ignore que la fonction pénale, au siège, n'est pas, loin s'en faut, la fonction noble. Et puis, il faut penser les moyens humains, matériels, et aussi les formes d'organisation cohérentes avec les fonctions nouvelles assignées à la justice pénale. Nous avons donc besoin d'une réforme tout à la fois procédurale, institutionnelle, culturelle, déontologique et managériale. C'est beaucoup plus que ce qu'Outreau fait émerger, si l'on s'en tient à l'instruction et au sort de son juge.
Recueilli par
Bernard LE SOLLEU. (extrait de Ouest France 4/3/06 édition de Saint Nazaire)